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mordre

  • Morsure dans le moelleux

    Lorsque au dehors il se fait morne, lorsque la lumière semble bannie à jamais, lorsque sur la montagne proche les brumes et les brouillards s'accrochent, et stagnent... il y a les bugnes de mon boulanger.
    Oh... ce n'est pas tous les jours, juste le samedi, et cela ne dure que quelques semaines, mais justement c'est ça qui est bien.
    Lorsque le ciel est maussade, courbé et sourd aux premiers chants d'oiseaux, on sait bien qu'à un moment ou un autre, il y aura... les bugnes de mon boulanger.
    Oh, il vaut mieux commander, car elles sont renommées, mais c'est justement ce qui les fait si... précieuses.
    Lorsqu'il ne fait pas beau, ces jours-là on s'en fiche, car on sait qu'il y aura quelque part... l'instant de la première bugne. C'est souvent le matin, lorsqu'on va les chercher, juste une, seulement une, mais souvent...
    Oh, la première bugne, c'est la plus séraphique. Il faut la contempler dans ses formes rebondies, sniffer un peu sa poudre sucrée, accepter qu'elle sème quelques étoiles blanches sur le pantalon noir, et mordre.
    Mais attention, tout est là, il ne faut pas mordre dedans machinalement, prestement, ni rageusement, non. Il faut faire cela amoureusement, sans aucune précipitation. Car ces bugnes-là sont d'une légèreté divine, pleines de douceur enfantine, elles sont comme des joues rondes qu'on bise, et qu'on voudrait manger. Alors on mord dedans à belles dents et c'est exactement parfait, comme instant.
    Délicieuses bugnes, pleines de tendresse, sans une once de goût d'huile, juste ce qu'il faut de sucre glace. Tout le moelleux qu'il faut pour que l'attente soit plus douce.
    Et lorsque le temps des bugnes et passé, on lève les yeux pour noter, estomaqués, que le ciel s'est ouvert, que l'air a changé, et que l'attente est finie. Tout recommence : les feuilles, les fleurs, les petits oiseaux...
    Et à ce moment-là seulement, à cet instant précis, exactement lorsque le temps des bugnes est passé (jamais avant, sacrilège !) juste à ce moment-là...
    ... on lorgne son tour de taille.
    Mais est-ce bien important, à comparé de ces morsures dans le moelleux, dans cette blondeur épanouie, à comparé de ces petits moments de douceur succulente qui aident à laisser mourir l'hiver ?

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